Novembre

Samedi 3 novembre
Une soirée dense en échanges, invité à dîner chez Katia, en compagnie de Delphine, demoiselle de 19 ans d’origine laotienne. Avis de Katia sur mon Journal englouti : je n’approfondis pas suffisamment ce qui ferait, par exemple, la singularité de chaque rencontre amoureuse. Ce que j’en retire dans mon tri scriptural ne dépasse sans doute pas la réaction clonée.
Si j’allais vraiment au tréfonds constamment dans ces pages : elles ne pourraient plus être lues par aucun proche... non je donne finalement presque tout ici (mais à une fréquence trop irrégulière). En revanche, je pourrais détailler davantage mes analyses... Là encore, l’instantanéité du Journal ne s’accommode pas très bien des épanchements analytiques du mémorialiste. Essayons.
Sur Elen : j’ai dit mon enthousiasme initial, mais très vite des doutes ont germé quant à notre complicité intellectuelle limitée. Je ne retrouve que peu chez elle ce qui fait mon attirance féminine : la sensibilité qui peut transcender un échange. Logiquement, l’absence d’imagination sexuelle s’y attache et je ressens déjà, malgré mon appétit persistant, les nécroses d’une répétition convenue. Katia, lors de sa rencontre, a ressenti son amour pour moi, mais également que nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. En forme de confirmation, elle m’a mis devant mes contradictions. Terrible aveu : sa présence m’est parfois incommodante et lorsqu’elle me témoigne, par quelques caresses et rapprochements, son amour, je me sens mal à l’aise. Signes incontestables d’un effondrement sentimental de mon côté. Même phénomène que ce qui s’était passé avec Heleen. Deux femmes que rien physiquement ne rapproche… et psychologiquement ? Pas davantage. C’est donc moi le coupable, moi qui modèle d’instinct mes conquêtes féminines selon la perception que je souhaite en avoir. Troublant phénomène : comme si je les vidais de leur substance et qu’une fois la saveur prise je les dénaturais pour ne plus supporter leur présence. Grave docteur ? Si je ne retiens que les grands amours, cela a commencé avec Sandre. Jamais je n’ai ressenti ce désintérêt charnelle, ou plutôt organico-psychologique pour Kate ou Aurore. Peut-être n’ai-je tout simplement pas essayé de séduire celle qui me procurerait une émotion renouvelée par tout ce qui la constitue. A chaque fois, je mets de côté le facteur négatif ressenti dès le premier contact (au point que je n’en écris rien ici) croyant à un élément accessoire.

18h30. Décision d’arrêter avec Elen. Je viens de lui exposer au tél. les grandes lignes de ce que je ne ressens plus et de ce qui me glace et me ferme dans notre relation. Pas encore pour cette fois la dualité attendue. Je cultive un peu plus cet état de solitude à l’affût, mais je ressens une sérénité retrouvée face à cette pesanteur sentimentale. S’aliéner pour une histoire ne peut valoir que pour une dimension humaine qui vous comble en majorité. Ce n’était pas le cas ici. Je crois profondément avoir fait un juste choix, limitant au maximum le drame d’une rupture plus tardive. Sisyphe de la relation à la femme, me voilà à nouveau au point de départ.
Une facette détestable chez Léautaud, dans ses entretiens : sa misogynie indécrottable, un quasi racisme envers les femmes jugées « créatures inférieures ». Qu’il faut être crétin et médiocre sur certains plans de son intellect pour soutenir ce genre de parti-pris. Je suis bien dans une optique inverse et ne trouve souvent d’intérêt intellectuel qu’avec le beau sexe. Voilà en tout cas à mettre au passif de mon enclin pour le bougon Léautaud.
Prévost, le comédien déjanté, confirme sa profondeur (car manier l’absurde comme il le fait dénote un esprit aiguisé) lors d’un petit tête-à-tête avec Philippe Labro dans le magasine télé Ombre et Lumière. Le drame d’une trahison familiale qui participe à sa volonté de se dépasser. Pas toujours la réaction retenue. Dans mon cas, déclenchement inverse : un retrait de tout et un désintérêt grandissant.
Reçu ce jour un e-mail minimal signé « Monique M. » me demandant si je savais où se trouve le dossier d’achat du terrain par la SCI d’Au. Voilà une distance prise qui me ravit. Je n’ai plus rien à voir avec le noyau dur du château (Heïm, Vanessa et la susnommée), comme je n’ai jamais eu d’affinité pour le magistrat Hubert. Je ressens moi là une trahison extrême dans les engagements pris par Heïm et non tenus. Evidemment, ses compagnes (l’officielle et l’officieuse) le soutiennent et doivent aujourd’hui me maudire, me trouver tous les défauts possibles, me vouer aux gémonies... J’en ai tellement entendu sur tous ceux et toutes celles qui sont partis avant moi que les refrains monomaniaques du château ne peuvent plus m’atteindre. J’ai abandonné, avec un soulagement gargantuesque, cet univers castrateur et laminant. De l’affection ? Il doit m’en rester quelques soupçons, mais je ne les cultive pas.
Aucun regret des aventures vécues cependant. Elles m’ont forgé sans conteste, mais la distance prise donne plus d’épaisseur à ma vision du monde. Je ne me reconnais nulle part, mais j’aime mon pays, sa langue, la culture colportée… et quelques amies chères, et mes familles de sang (hors Bruce qui m’indiffère) : voilà un retour aux sources, avec détachement et lucidité, je l’espère.
Besoin d’une longue parenthèse de retrait par rapport au château… et ne compter plus que sur moi. Peut-être que la fibre ambitieuse naîtra dans quelques années, à la suite d’une rencontre amoureuse motivante, et que je me battrais pour changer de direction existentielle. A ce jour, et au regard de l’abjecte conjoncture internationale, l’attentisme prévaut. Désespéré par la vivacité des vieilles rengaines pseudo-religieuses qui motivent ces escrocs spirituels pour asseoir leur puissance. Une humanité qui n’a pas évolué d’un iota, depuis deux mille ans, ne peut qu’incliner à se limiter dans son implication pour les choses humaines. Un dégoût profond, surtout face aux hystéries fanatiques.

Dimanche 4 novembre
Accorderais-je trop d’importance à ces giclées noires ? Après Elo, Katia décide de détruire les quelques dizaines de pages écrites pour mieux aller de l’avant. Anéantir ce Journal en germe pour que l’action puisse prendre sa dimension. Les pages écrites sur moi n’y auront pas échappé. Elles n’ont sans doute pas tout à fait tort : commencé alors que j’étais engagé dans une action primordiale, je l’ai poursuivi au point d’en faire l’un des pôles majeurs de mon existence. De témoin subjectif, ce Journal devenait justificateur d’une existence recluse, étrangère à l’engagement et imperméable à toute ambition. Une espèce de ça m’suffit littéraire.

Passé voir Katia quelques heures, hier soir, après annonce de ma décision. L’occasion de quelques échanges nourris. Sa dextérité intellectuelle m’enchante, et j’ai conscience de passer à côté d’une jeune femme me correspondant profondément et apte à une « dévotion » (terme qu’elle a choisi) amoureuse grandissante. Je connais malheureusement mes instincts et l’importance accordée à la plastique féminine. Les cent vingt kilos de la Katia d’hier ont laissé des traces irréparables, et pour les quelques réparations effectuées, des cicatrices panoramiques. Avant tout, ne pas la faire souffrir, c’est ma détermination affective. Or, je ne me sens pas assez sage pour passer outre ces désagréments physiques. C’est moi qui suis à plaindre : cela aussi j’en ai conscience. Mon mérite étant tout de même d’essayer d’éviter des drames futurs par un regard sans concession porté sur ma propre nature.
23h30. Curieux comme Elen déclenche l’hostilité. Après Katia, c’est au tour de Bonny, eu longuement ce soir au tél., de m’avouer tous les éléments négatifs ressentis à son contact : une fermeture totale, l’air plus vieille que moi, sans étincelle de vie, sans beauté d’âme… Une sévérité abrupte, mais finalement pas si loin de mon ressenti profond.
Comment ai-je pu me laisser aller à croire à une possible relation durable avec quelqu’un d’aussi imperméable à l’univers, retirée et sans ressort ? Cela m’inquiète sur mes propres tendances. Que d’erreurs sentimentales j’ai pu commettre depuis dix ans… moins chez mes amies tout de même. A croire qu’il eut fallu que je choisisse mon amour parmi elles… L’affaire Elen est plus que jamais enterrée pour moi… aversion pour sa personnalité trop dissemblable de ce qui peut emmener vers le beau, le joyeux et le sensible. Cette humeur d’outre-tombe doublée d’une possessivité maladive, sans perspective existentielle, ne pouvait que me détruire davantage.
Katia et Bonny, deux personnalités dissemblables, mais qui se retrouvent sur un point essentiel : un même enthousiasme de vivre. Elen ne le possédait pas et, pire, déteignait sur moi dans son nihilisme fonctionnarisé. Brrr… Il faut vraiment que je me méfie de mes choix féminins en matière amoureuse.


Mardi 6 novembre
Le documentaire diffusé ce soir sur Canal +, concernant la genèse des attentats du onze septembre, parachève l’idée d’une politique étrangère américaine qui a joué pendant une vingtaine d’années avec le feu islamiste au nom de l’intérêt supérieur, en pleine guerre froide, d’humilier les russes en Afghanistan.


Jeudi 8 novembre, 0h et des poussières
Je me rendrai le 23 décembre prochain, pour un déjeuner, au château après un an et demi, au moins, d’absence. Décision prise après un appel de Sally me faisant savoir qu’à cette occasion de réunion familiale Heïm aurait apprécié ma présence. Par affection, je ne pouvais refuser, mais je n’oublie rien des éléments qui m’ont fait adopter ce mouvement de retrait. Il y a quelques jours, e-mail reçu pour une demande de renseignement signé « Monique M. », et non simplement Monique (ou Mo selon le surnom habituel), comme pour désaffectiver tout rapport. Risible pour le moins. Si je fais le voyage pour ce repas, je n’accepterais, de Heïm ou d’autres, aucune tentative de glisser vers les puants repas-catharsis. En cas contraire, ce sera mon dernier séjour au château. Je ne peux plus tolérer ce prétendu esprit libre, plein d’humour, sans tabou, alors que tout respire l’inverse. Affection, oui, mais plus d’incrédulité de mon côté.
Hier, en allant au toilette à Forpro, alors que je commençais à uriner, l’angoisse métaphysique me saisit comme cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Songeant au temps qui défile de façon infernale, je voyais mon âge canonique arriver très vite et cette inadmissible nécessité d’une mort qui mettra fin pour toujours à la conscience du monde et de soi. Notre seule approche de l’infini, en l’espèce temporel, se fait par notre mort.


Samedi 10 novembre, 4h30 du mat.
Retour d’une soirée très agréable, car en bonnes compagnies : retrouvaille de Bonny et Sonia, les deux complices du parc, au Club 30. Un enthousiasme dans le rapport qui revigore. Bonny comme chanteuse polyvalente (de Céline Dion à Anastasia en passant par France Gall et le pâlot Jackson) et Sonia comme interlocutrice attentive. Une gravité, chez cette dernière, que je ne lui connaissais pas : elle me confie être en pleine remise en question sur divers plans, notamment suite à la trahison d’une amie d’enfance (vol de son chéquier et utilisation frauduleuse).
J’ai été bien loin de l’atmosphère confinée qui modelait les instants partagés avec Elen, dont c’était l’anniversaire ce vendredi. Aucune manifestation de sa part, et aucune envie de la contacter de la mienne. Tout de même curieux comme je ne me sens nullement affecté par cette rupture. Son univers ne me correspondait pas du tout, je crois. Impression de m’enterrer dans des automatismes comportementaux sans enrichissement existentiel.
Eu Katia rapidement au tél. Depuis que j’ai quitté Elen, je la sens plus distante. Il faudra que j’éclaircisse cette impression.
Demain, jour du seigneur et deux mois après les attentats terroristes aux Etats-Unis. L’acharnement aérien contre les talibans semble payer très lentement.


Dimanche 11 novembre, 3h25
Encore une agréable soirée pendant que l’Afghanistan se fait bombarder et que les ruines du WTC fument toujours.


Jeudi 15 novembre, 0h25
Revu les dernières images de Dancer in the dark diffusé sur Canal +. Impossible d’empêcher les yeux de s’embuer lorsque Björk, la corde au cou, passe du cri au chant. De l’émotion pure.
Ma trajectoire existentielle semble s’être figée dans ce transitoire aux semaines qui défilent.

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